Échange avec l’auteur et créateur d’Ailleurs, Serge Mandeville

Serge Mandeville répond à quelques questions sur la nouvelle mouture de son spectacle Ailleurs, présenté dans la salle principale du Prospero, jusqu’au 27 mars.

Ailleurs, mise en scène 2010, photographie de Véronick Raymond - sur scène de gauche à droite : Benoit, Monia et Serge.

Ailleurs avait a été présenté en 2008 dans la salle intime du Prospero. Cette année, Le Groupe de la veillée lui ouvre la salle principale du Théâtre. Pour cette nouvelle mouture, Serge Mandeville reprend le rôle de Stef, l’un des deux frères de ce récit qui mêle amour, mythologie égyptienne, légendes familiales et politique.

Après avoir vu Ailleurs, j’avais quelques questions pour son créateur.  J’ai donc rejoint la relationniste (Véronick Raymond) via Twitter et elle m’a donné une adresse de courriel pour échanger avec Serge. Ah! Les commodités de la conversation version 2010! Serge s’est prêté à l’exercice avec transparence et générosité. Je vous communique ses réponses sans censure ou modifications, car elles ouvrent une fenêtre sur le processus créatif, les influences, comme les sources d’inspiration de l’auteur pour cette création théâtrale.

Nadia – Dans ton spectacle, à travers les éléments de mythologie égyptienne, les chassés-croisés amoureux, le personnage d’Alice amène une dimension une humaine de la question de la Palestine. Lorsque tu mets en scène les extraits des médias quelle est ta volonté? De les humaniser? Car l’effet est plus vrai et plus touchant que la couverture médiatique seule…

Serge – Pour ce qui est de la question palestinienne… J’ai longtemps hésité à l’aborder. Le texte a connu plusieurs moutures et ça pris un moment avant que je n’ose intégrer ce sujet à la pièce. Il existe une version beaucoup plus longue de la scène « politique », mais on l’a coupée, non pas par auto censure, mais bien par  souci dramaturgique. C’est inintéressant, au théâtre, un auteur qui nous dit ce qu’il pense. Tout ce qui a survécu, c’est la partie la plus théâtrale du monologue où elle demande à Olivier de se mettre à la place d’un Palestinien deux secondes. Imagine…

L’extrait du discours de Arundhati Roy (Come September) qui est un discours magistral qu’elle a prononcé le 11 septembre 2002 à New York me semble quelque chose d’assez percutant. On peut le visionner ici : http://video.yahoo.com/watch/69209/947625?v=6920

Je voulais perdre position sur la question. Mais je sais pertinemment qu’une pièce vue par 1000 personnes ne changera rien aux souffrances des Palestiniens.

Je fais aussi référence à la mort de Rachel Corrie, la jeune militante américaine qui s’est faite écraser par un tank israélien à Gaza. C’est le meilleur exemple de l’horreur de ce conflit ramené à la maison.

Nadia – Les deux frères semblent représenter deux types d’homme aux antipodes… Comment vois-tu les deux personnages masculins?

Serge – Olivier, c’est mon alter ego. J’ai pris mes qualités de rêveur, mes défauts de gars timide (maladivement timide à l’adolescence), malhabile, inconscient, traineux et je les ai poussés à l’extrême. Ça donne un personnage attachant, je crois.

Stef, c’est le gars réaliste qui a besoin de faits. Chargé de cours à l’UQAM. C’est aussi un amoureux blessé. En état de déni total. Elle lui dit qu’elle ne l’aime pas, mais quelque chose en lui refuse de la croire. Il l’aime tellement, qu’il ne peut pas accepter qu’elle ne le lui rende pas.  Je crois qu’on a tous déjà connu ce genre de situation. En tout cas, moi, ça m’est arrivé. « Elle m’aime, c’est juste qu’elle n’ose pas se l’avouer. »

Nadia – Ailleurs, avec ses récits parallèles m’a rappelé la construction de certains spectacles de Robert Lepage (récit d’un amour, mythologie, actualités). Quels sont tes influences? Ou si tu préfères le théâtre qui t’inspires?

Oui, bien sûr Lepage est une référence. Je ne crois pas qu’on puisse être metteur en scène au Québec et ne pas être influencé par Lepage. Sinon, Wajdi Mouawad, est un modèle pour moi. C’est sûr. J’ai vu nombre de leurs spectacles et ils m’inspirent tous deux énormément. Mais mon premier modèle au niveau de la mise en scène, c’est Peter Brook. J’ai lu tous ses livres plusieurs fois, avec passion. Je n’ai pas eu la chance de voir beaucoup de ses spectacles. Ceux qui viennent ici sont plus légers: Le costume et Sizwi Banze est mort. Mais la pureté, le minimalisme. L’idée selon laquelle tout ce qui est sur scène doit être essentiel, nécessaire. C’est ce qui m’importe le plus. Ça me vient de lui.

Pour l’écriture… Wajdi encore, mais Shakespeare et Beckett sont mes auteurs fétiches. Dans les dernières années, Paul Auster est devenu mon auteur préféré.

Je dévore également beaucoup de séries télé (en DVD). Six feet under demeure, selon moi, la plus belle chose jamais produite à la télé. J’ai emprunté certains procédés à cette série.  Quand on passe de la rêverie à la réalité.

Nadia – Dans la présente mouture, tu joues le rôle du frère, tu ne jouais pas dans la version précédente. Est-ce que cela a demandé un travail adaptation? Pour toi, comment est-ce de reprendre ce rôle?

Serge – À la création, je n’aurais jamais voulu jouer et faire la mise en scène. Il n’en était absolument pas question. Mais à la reprise, François-Xavier Dufour n’était pas disponible, alors je me suis dit que je pourrais le remplacer. C’est le rôle que je me serais donné, si quelqu’un d’autre avait fait la mise en scène. Je n’ai rien changé au rôle. Mais il est évident que FX et moi sommes assez différents. Je crois avoir une énergie plus sympathique sur scène. Monia et Ben m’ont guidé un peu et m’ont dit que je devais être plus chiant pour que l’équilibre de la pièce soit respecté. Si Stef est trop gentil, Alice devient antipathique et ça, c’est impossible.

Nadia – Comment crées-tu tes spectacles? Commences-tu par le texte ou les éléments scéniques?

Serge – De tout ce que j’ai écrit, cette pièce a connu le plus long processus de création. 12 ans. La première version a été jouée au conservatoire dans le cours de création en 96. C’était une petite scène de 15 minutes. Mais les 4 personnages y étaient avec la boîte à musique.

J’ai eu une bourse d’écriture en 2002 qui m’a permis de voyager en Égypte, de voir la maison où ma mère a grandi. De visiter les monuments de la haute Égypte. Certains événements de la pièce sont inspirés directement du voyage. Par la suite je me suis remis au travail et j’ai commencé à construire l’histoire. En lisant des livres de mythologie égyptienne, j’ai eu l’intuition de prendre pour structure dramatique le mythe d’Osiris. Que le frère serait prof de Mythologie et nous donnerait un cours sur ce mythe, pendant que dans la réalité, on aurait les mêmes éléments qui seraient repris. En effet, c’est Lepage qui m’a inspiré pour cette idée. Je pense au Polygraphe, quand on a en parallèle un cours d’anatomie (sur les parties du cœur) et de géopolitique (le mur de Berlin).

Donc, le mythe d’Osiris. Osiris et Seth, les frères ennemis. Se disputent pour l’amour d’Alice (Isis). Isis tombe enceinte du cadavre d’Osiris. Alice tombe enceinte également.

Chaque élément du mythe trouve un équivalent dans l’histoire moderne.

Mais le cœur de cette histoire, c’est la relation que j’ai avec ma grand-mère (Têta). J’ai vécu avec elle mes trois années d’université. J’ai développé une relation privilégiée et je savais que j’écrirais sur elle. Certaines répliques de la grand-mère sont des transcriptions littérales d’histoires qu’elle m’a racontées. Mon grand-père réparait bel et bien les voitures du le roi Farouk. Et une fois, il avait vu la reine en allant retourner la voiture.

La boîte à musique, c’est l’autre élément central qui est là depuis le début. Je me rappelle la nuit où je m’étais levé pour aller noter l’idée qu’elle serait liée à l’Égypte ancienne.

ABSOLU THÉÂTRE
AILLEURS
16 / 27 MARS 2010
Texte et mise en scène Serge Mandeville
Avec Monia Chokri, Benoît Drouin-Germain
Serge Mandeville, Véronique Marchand
Décors et costumes Marianne Forand
Éclairages Renaud Pettigrew

Au Théâtre Prospero, jusqu’au 27 mars.

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

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8 réflexions sur « Échange avec l’auteur et créateur d’Ailleurs, Serge Mandeville »

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  4. Chouette idée, ce dialogue avec un créateur. Merci! À refaire si tu peux/veux!

  5. Merci de ton commentaire! C’était un essai pour faire quelque chose de différent et utiliser ce blogue pour offrir autre chose que ce que les médias font. Je vais refaire et essayer autre chose… Je cogite…

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