La plus sérieuse compétition du journalisme, n’a rien à voir avec ce qu’on considère comme du journalisme sérieux : on parle donc de nouvelles fongibles, qu’on peut permuter une pour l’autre, pour peu que le consommateur soit satisfait et sans égard à des normes de qualité.
Note : ce billet a aussi été présenté en chronique à La sphère le 18 octobre 2014
En octobre 2014, c’était la nouvelle choquante de la semaine, voire du mois, que celle de cette fiancée infidèle qui avait censément commis l’irréparable avec un striper nain… Ah, même Le point, censément sérieux magazine actus et politique, en parlait, quelle occasion de bien rigoler avec une nouvelle insolite. Sauf que cette chose n’était pas du calibre des nouvelles insolites, c’était une pure fabulation, à laquelle des médias presque crédibles ont mordus.
Le principe de fongibilité
La fongibilité, comme la décrit Stijn Debrouwere du Tow Center for Digital Journalisme (Université Columbia, NY), est la possibilité de permuter un produit pour un autre, pour peu que le consommateur soit satisfait. Quand on applique cela à l’information, on s’aperçoit que la nouvelle de la future mariée enceinte du stripteaser nain et une nouvelle sur l’actualité politique sont des items interchangeables dans nos échanges d’info sur les réseaux sociaux.
Or, ce qui menace réellement le journalisme, ce ne sont pas les avancées du journalisme de données, les blogues, l’engouement pour la curation de contenu ou le journalisme citoyen : c’est ce qui remplace, sans avoir les mêmes caractéristiques, les articles écrits par des journalistes.
DeBrouwere explique que pour choisir un produit culturel, avant le Web − les suggestions d’iTunes ou les commentaires sur Netflix, Amazon ou Spotify − on lisait les critiques de nos journalistes culturels préférés et de là, on choisissait ce qu’on allait consommer. Il faut donc questionner la valeur que garde la critique culturelle dans ce contexte de «recommandations».
Où trouve-t-on notre info à l’ère des réseaux sociaux ?
Partout. La réalité est que nous n’attendons plus que les médias parlent d’un sujet. Quand nous voulons en savoir plus, nous pouvons aller sur Quora ou Reddit et voir ce que des collaborateurs ou des amis ont publiés à ce propos. Entrevues avec Obama, information sur un sujet scientifique, tout y est, présenté de façon brute, mais souvent rédigé par des spécialistes et observateurs attentifs.
Alors, comment différencier un site d’information d’un site commercial qui a ajouté une section « d’actualités » sur son secteur d’expertise ? C’est de plus en plus difficile. Peut-on dire de l’information contenue sur un site immobilier qu’elle n’est pas de la l’info réelle parce que le but du site est de vendre un service de courtier immobilier?
À quel moment, demande DeBrouwere, une lettre d’information ou un blogue cesse-t-il d’être seulement un outil de marketing pour devenir un réel média avec toutes les qualités journalistiques requises ? Hum, les réponses vont certainement être diverses ici.
Le point de vue « local »
Avec les wiki et les autres médias collaboratifs qui fournissent de l’information de proximité (parfois même ajouterons-nous géolocalisée) à quel moment est-ce que le journal de quartier devient dépassé ? Au moment, peut-être ou par Twitter, Facebook et d’autres sources «aggrégées» ce qu’on lit est assez bien et assez bon pour le consommateur d’information.
Pour les journalistes donc, la compétition n’est plus ce qui est meilleur leur travail, mais bien ce qui est assez bon et satisfaisant pour le consommateur.
Même le légendaire Jeff Jarvis dit qu’il n’y a pas de journalisme, mais un « service de journalisme ». La nouvelle devient un produit consommable, comme la conçoivent des publications comme Gawker et Buzzfeed.
Que reste-t-il dans ce contexte au journalisme?
Sa capacité de raconter avec talent de meilleures histoires (le storytelling) et pour chaque journaliste la possibilité de distinguer sa personnalité ou son ton dans l’exercice de son métier. Ces caractéristiques sont irremplaçables selon DeBrouwere.
Il faut cesser de croire que la compétition ce sont les autres médias d’information, la compétition est partout.