Présenté à l’émission La Sphère du 19 mars 2016.
C’est le rêve de tout artiste bruitiste ou noise : plaquer des biosenseurs sur le corps humain pour écouter le son du désir sexuel. Or, dans un contexte de collecte de données sur soi, avec des bracelets, des montres et tutti quanti, dans une optique de performance, Rory Viner veut donner un nouveau sens à ces données.
L’automne dernier, Rory Viner, un artiste établit à Tokyo et dont le travail porte aussi sur la mise en musique de données statistiques (dont le taux de suicide au Japon) a intéressé les journalistes de la section consacrée à l’art techno de MotherBoard. Récemment, c’est une publication qui parle d’éthique des données qui lui donnait la parole afin qu’il explique sa démarche.
La géographie de l’intime mise en musique
Dans l’expérience qui nous intéresse, car il décrit chacun des volet de son travail comme une expérience, il veut donner un son à la dilatation des géographies internes du corps. Cet acte, celui de la captation des données, présume-t-il, a un effet déstabilisant sur notre conception du « soi », nonobstant l’utilisation de ces données. C’est donc dans cet optique de constante collecte de données sur soi et du sens que nous donnons à ces données que Viner situe son travail. Alors que l’intime devient de plus en plus public, voire une source de « conversation-s » et de mesure sur les réseaux sociaux, comment situer une nouvelle distance émotive? Parce que, disons-le, qu’est-ce qui est plus intime que l’acte sexuel?
Qu’est-ce qui resterait d’intime, si nous partagions les données biométriques de notre activité sexuelle, comme nous le faisons de toutes nos autres données? « Est-ce que cela nous rapprocherait ou nous éloignerait de notre partenaire? », demande Viner.
Pour poétiser le tout, Viner transforme la cinétique sexuelle en sons. Pour ce faire, il attache différents senseurs piézoélectriques, c’est-à-dire qui captent la charge électrique des matières solides biologiques, comme la chair, les os et même l’ADN, à son corps et à celui de son partenaire.
Il diffuse alors en direct et enregistre les sons ainsi produits. Chaque senseur piézoélectrique est connecté pour déclencher une note précise selon un tableau Arduino qui permet de réunir les entrées analogues et numériques de plusieurs senseurs pour les acheminer à un microcontrolleur.
Ainsi, les notes générées par les senseurs sont acheminées du programme Arduino en format MIDI (musical instrument digital interface) vers un synthétiseur. Ce produit musical est diffusé en direct pendant le rapport sexuel pour créer une boucle de rétroaction, où les participants peuvent modifier leur comportement pour générer une piste sonore différente.
Après l’avoir expérimenté quelques fois, Rory Viner a constaté que d’entendre son interaction sexuelle en direct ne réduisait pas la distance entre les corps, mais au contraire créait une interférence avec l’émotion, voire une dépersonnalisation du rapport intime.
Vous l’aurez compris, le but de Viner est de réfléchir à ce que la collecte de données apporte comme nouvelles questions politiques, voire biologiques dans notre vie.
Alors que dans une perspective transhumaniste incluant le renouvellement de la musique, nous pourrions nous attendre à ce que de traduire l’émotion pure en musique soit satisfaisant, mais il semble que nous prendrons plus de plaisir à écouter les expériences de Viner que lui à les réaliser…
Et de fait, la musique ainsi produite est très intéressante…