Lassonde et sa marque Oasis : une gestion de crise bien réelle amplifiée par les médias sociaux.

Je vous fais une déclaration d’intérêts : Lassonde n’est pas mon client, mais s’il l’était, vous pouvez être certains que je n’agirais pas à titre d’analyste de la crise Oasis sur toutes les tribunes. En situation de gestion de crise, que vous soyez conseiller Web ou porte-parole, plutôt que de vous faire mousser, essayer de calmer le jeu… En ce sens, un élément qui aura irrité les internautes, Le blogue du Président, ouvert au lendemain de la crise sera temporairement interrompu, monsieur Gattuso vivant un décès dans sa proche famille.

Crédit photo : I, Luca Galuzzi, via Wikimedia

Un conflit avec une personne ou une organisation continuera via les médias sociaux…

Une crise a éclaté le week-end dernier pour Lassonde et sa marque vedette Oasis, pas le groupe, le jus. Une crise qui a source dans une situation réelle, soit la forte protection légale de la marque Oasis et qui s’est emballée sur les médias sociaux. Les crises médias sociaux touchant les grandes entreprises, comme celle du géant du fast food McDo avec ses McDoStories, portent en fait souvent sur des conflits ou des perceptions qui existaient avant l’invention de Facebook ou Twitter et qui étaient connus de la direction. Les grandes entreprises doivent savoir que les conflits qui les opposent à des associations ou des organisations ne resteront pas à la porte des médias sociaux. Dans le cas d’Oasis, la machine sociale s’est emballée à la suite d’un article de La Presse où la journaliste Christiane Desjardins donnait la parole à Deborah Kudzman, propriétaire de la petite entreprise Olivia’s Oasis qui sortait tout juste d’une bataille de sept ans contre Lassonde.

Kudzman a gagné le droit d’utiliser « oasis » dans son nom d’entreprise, mais Lassonde ayant contesté le remboursement des frais, elle devait payer les 100 000 $ que lui avait coûté sa défense. Le public est rarement mis au fait de ces situations, or le cas de cette femme sympathique a soulevé son indignation.

Les médias sociaux et médias traditionnels ou quand l’indignation est partagée

Oasis avait déjà un compte Twitter, une page Facebook comptant quelque 30000 abonnés et disons-le une grande notoriété. Il est difficile de prétendre que Lassonde ne connaissait rien aux médias sociaux. L’entreprise a sans aucun doute négligé le fait que ses constantes disputes légales pourraient resurgir sur ses médias promotionnels. C’est une erreur courante de croire que ce qui est souvent en silo dans l’entreprise (le légal, les communications et la production) ne sera pas mélangé sur le Web. Si on peut difficilement mesurer l’ampleur qu’aura une avalanche sociale, un entreprise doit garder l’œil ouvert quand un article sur un sujet délicat est publié. On peut présumer que l’entreprise était avisée de la publication de l’article sur madame Kudzman, puisqu’un employé de la direction de Lassonde y était cité.

Le lecteur des médias en ligne est très souvent un utilisateur des médias sociaux et il ne manquera pas de partager un texte qui le touche en ajoutant son commentaire. Si la marque visée a une page Facebook, les réseauteurs iront là, demander une réaction de l’entreprise. C’est ce qui est arrivé dans le cas présent, l’article de Christiane Desjardins a été republié sur Twitter et des utilisateurs influents comme Guy A. Lepage ont fait part de leur indignation, puis la vague a déferlé. Tous les éléments étaient là pour faire une crise médias sociaux : valeurs heurtées, indignation partagée, viralité d’un document à faire circuler.

Avec le nombre de jugements que Lassonde a vu défiler à propos de sa marque (un article ici de Patrick Lagacé) et les analyses des médias qui suivent inévitablement, la compagnie n’était dans l’ignorance, même si elle ne s’attendait pas à une telle vague. Nous sommes en 2012, maintenant plus d’un Canadien sur deux a un compte Facebook, alors l’écho des médias sociaux est plus grand. La compagnie s’est organisée rapidement pour répondre aux commentaires et trouver une solution pour résoudre la crise. Puis elle a commencé à communiquer régulièrement ses actions, ce qui est la norme en communication de crise.

Gestion crise 101 : reconnaître la légitimé de l’indignation et proposer une solution

Le 7 avril sur Facebook, Lassonde a reconnu la légitimité du soulèvement social en répondant par un court texte qui reconnaissait la dimension émotionnelle pour ses clients du cas de madame Kudzman et promettait d’étudier une solution :

Nous avons pris connaissance de vos commentaires et nous sommes très sensibles à vos réactions. Nous avons tenté à plusieurs reprises pendant les procédures d’en arriver à une entente, mais sans succès. Dans cette affaire, Lassonde entend agir avec diligence, respect et dignité.

Nous entendons entamer dans les meilleurs délais d’autres démarches auprès de Madame Kudzman pour en arriver à une solution. Nous espérons sincèrement que ces démarches s’avèreront fructueuses. Notre intention n’a jamais été de nuire à une autre entreprise québécoise. Comme l’a reconnu la Cour d’appel, il est essentiel de protéger nos marques de commerce pour éviter de créer des précédents.

Le message suivant, émis toujours le 7 avril sur Facebook, venait apporter la solution attendue et démontrait une certaine dignité de Lassonde dans l’adversité :

Lassonde compensera Mme Kudzman pour ses frais juridiques. C’est avec diligence, respect et dignité que Lassonde compte compenser adéquatement madame Kudzman pour ses frais juridiques engagés jusqu’à maintenant. Notre intention n’a jamais été de nuire à une autre entreprise québécoise.

En gestion de crise, un suivi sur les médias sociaux eut été suffisant, puisque médias et citoyens intéressés au dossier y était branchés, prêts à relayer l’information et à critiquer au besoin… C’est ainsi dans un état libre. Pourquoi donc y étions-nous encore le 11 avril? Parce que l’entreprise a jeté de l’huile sur un feu quasiment éteint!

L’après-crise : plutôt qu’un retour au calme, une contre-attaque Web médiatisée…

Le lundi 9 avril – Plusieurs sortaient de leur torpeur du long congé et prenaient connaissance du dossier Lassonde-Oasis. Une petite vague était donc à attendre. Les médias faisant leur travail de suivi ont publié le mea culpa du président de Lassonde, monsieur Gattuso, et plusieurs se sont dits que les choses se dénoueraient tranquillement d’un article à l’autre. Il fallait évidement s’attendre à quelques critiques des médias relatant les sagas judiciaires de Lassonde et à des analyses des journalistes couvrant ces questions. C’est un des aspects du travail du journaliste de documenter un fait. Rien d’anormal donc et les annonces positives de Lassonde sur le règlement avec madame Kudzman auraient équilibré le tout.

Le mardi 10 avril – Au matin sur les médias sociaux, certains appelaient encore au boycott des produits Oasis, tandis que d’autres se disaient satisfaits de la réaction de Lassonde. J’étais de ceux-là. Puis, à 9 h 26 sur Twitter la populaire stratège Web et médias sociaux Michelle Blanc annonce l’ouverture d’un nouveau blogue, titré Lassonde vous écoute. Le Président, cette fois-ci, en plus de la réitération de son mea culpa, donnait des éléments de justification des actions juridiques de Lassonde… On apprenait donc dans sa lettre que lorsque Lassonde a entrepris ses démarches contre Olivia’s Oasis, la compagnie commençait à vendre de l’huile d’olive, qu’elle a agit « dans les règles de l’art » etc.  Cette défense, plutôt que de rassurer les usagers des réseaux, a relancé la controverse.

La chute – Lassonde tente de démontrer que l’entreprise est intimidée ou victime de manipulation de l’information…

À la suite du premier billet publié par M. Gattuso, madame Blanc a publié un billet où elle met en question l’objectivité de la journaliste de La Presse, Christiane Desjardins. Le titre non équivoque du billet, Industries Lassonde, Oasis, tempête dans un verre de jus de la FPJQ affirmait que c’est l’éthique journalistique qui devrait être au banc des accusés. Dans le même billet, madame Blanc précise que Deborah Kudzman provient du domaine des communications. Essayait-on de faire entendre que madame Kudzman n’étais pas une innocente victime? Ce biais a été confirmé par madame Blanc sur Twitter dans un échange où une personne lui demandait si on pouvait conclure à une manipulation de l’information (manip de l’inf) « puisque la dame est une experte des communications » : « Ça commence à ressembler à ça mais je me retiens encore de faire un boycotte de LaPresse », de répondre Michelle Blanc.

Dans une mise à jour du billet de blogue cité plus haut, madame Blanc ajoute, « Des fois je me demande qui est le bully de cette histoire. Lassonde ou LaPresse ? ». Puis, du même jet, elle nous invite à aller lire le nouveau billet de M. Gattuso intitulé, « Qui est un bully? » et qui se voulait une dénonciation des pratiques journalistiques de Patrick Lagacé dans son article Oasis, comme un bully.

Pour voir les tweets cités ici et connaître d’autres rebondissements du dossier, visitez Storify : Analyser et spinner tout à la fois une crise dans les médias sociaux.

David 2.0 contre Goliath

Les Industries Lassonde sont passées d’une gestion de crise honorable à une chasse aux sorcières ayant pour but semble-t-il de faire taire les critiques citoyennes et les journalistes. Nettoyer son image ne se fait pas en utilisant du vocabulaire abusif et en essayant de discréditer son adversaire, surtout pas quand on est aussi fort. Dans la bouche d’un puissant, le mot bully a souvent l’air de désigner celui qu’on écrase et qui crie… Parce que pour intimider, il faut être plus fort, sinon on appelle ça combattre pour sa survie.

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Un billet de Natalie Gauthier sur la question de la protection de la marque :

La protection du nom et l’abus de procédure

Mon billet sur la gestion de crise :

Comprendre les risques pour mieux gérer les crises

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

Voir tous les articles de Nadia Seraiocco →

35 réflexions sur « Lassonde et sa marque Oasis : une gestion de crise bien réelle amplifiée par les médias sociaux. »

  1. Si le blogue avait été ouvert très rapidement pour concentrer la critique à un endroit, cela aurait été une bonne idée.. en 2008.

    L’avantage des médias sociaux est qu’une crise comme ça s’essouffle très rapidement. Les gens passent rapidement à un autre dossier et surtout en temps de grève étudiante, le sujet allait mourir de lui-même.

    Je suis de votre avis sur le fait que leur gestion de crise était excellente avant les dernières actions. En moins de 14h (pendant le week-end de pâques!), Lassonde a su trouver une réponse / solution à un problème grave. Chapeau à l’équipe de PR sur ce point.. mais pour le reste, on s’enligne vers une des pires gestions de crise médias sociaux de l’histoire du Québec.

    PS: Avoir autant d’engagement sur leur fans page, c’est bon pour leur edge rank 😉

  2. Jean-Luc vous avez tout à fait raison, jusqu’à tout récemment (donc une éternité sur les médias sociaux) un blogue permettait de réunir un groupe en un endroit. Mais en 2012, quand vous avez 30000 personnes qui vous suivent sur Facebook pourquoi les amener ailleurs?

    Nous sommes d’accord sur toute la ligne. 😉

  3. Ping : Nicolas Roberge
  4. Ping : Nicolas Roberge
  5. Ping : Michelle Bleu
  6. Ping : Michelle Bleu
  7. Ping : Natalie
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  11. Ping : Adrienne Z.
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  13. Ping : AlexOsada
  14. Ping : Marie Dollé
  15. Bonne analyse du cas récent de Lassonde. En effet, ce n’est pas tout de savoir quoi dire, il faut savoir doser ce qui est dit… et savoir quand s’arrêter! Merci, Nadia.

  16. C’est ça la différence entre théorie et pratique. Avoir un blogue est une bonne pratique (en général), l’ouvrir juste après la crise est une erreur (dans ce cas-ci). L’affaire n’est pas seulement une crise de réseaux sociaux, mais bien une crise médiatique, car La presse était sur le coup dès le début.

    Il y a une véritable différence entre une petite firme qui n’a pas voix au chapitre et utilise les médias sociaux pour se faire entendre et une grande entreprise qui est déjà couverte par les médias et à l’embarras du choix pour communiquer (et les moyens de la faire).

    Ouvrir le blogue du président _après_ avoir résolu le problème (en annonçant qu’ils allaient payer les frais) a servi de paratonnerre sur la seule personne qui aurait dû être au-dessus de la mêlé le plus longtemps possible. En créant ce paratonnerre, ils s’attirent déjà les foudres, mais en attaquant/répondant (choisissez votre vision) aux médias ils ont « jeté de l’huile sur le feu quasiment éteint » (que tu as la formule imagée, Nadia :-).

    Mais surtout, ils se mettaient en position de maintenir sur le long terme, la voix du président sur les médias sociaux alors que la crise était de courte durée (pour eux, payer les frais était une option dans leur arsenal de réponse et qui s’est avéré la bonne). Qu’aurait eu à dire le président dans 1 an, 5 ans? je me le demande.

    La bataille était déjà décontextualisée (une poursuite sur 7 ans!!!), le blogue, né dans cette tourmente, sur la défensive, aurait gardé ce stigmate toute sa vie…

    J’adore les blogues, mais dans ce cas-ci, c’était une tribune dont ils n’avaient pas besoin. Je suis d’accord avec toi.

  17. Merci Martin de ce commentaire 🙂
    Un blogue est fort utile lorsqu’on gère une crise de santé publique ou de sécurité qui s’étendra sur plusieurs semaines (je compte l’expliquer dans un prochain billet sur la gestion de crise).

    Ici, nous avons ce que certains spécialistes nommment une crise de communication ou marketing. C’est-à-dire que la crise émane d’un changement de perception amené par un événement de communication (l’article) et qui nuira à l’image, donc aux ventes de l’entreprise. Rien ne nous force alors à entreprendre une longue série de communications via un blogue, car il n’y a pas de consignes à donner à la population.

    Et comme tu le dis bien, ce blogue aura eu pour effet de concentrer les foudres des consommateurs heurtés sur le M. Gattuso. Lassonde se retrouve donc avec deux problèmes d’image : celle du produit Oasis et en plus celle du président.

  18. Bonjour,

    Perso je crois que Michelle Blanc continue d’alimenter une crise qui se serait terminée en quelques jours mais comme le cas prenait de l’ampleur je me suis mit à faire des recherches pour constater que l’avocat de Lassonde est celui qui à déposé de fausses preuves au tribunal contre moi en janvier 2012 et qui la Police Montréal s’apprête à déposer au criminel.

    Donc je commente: http://veritejustice.wordpress.com/

    Merci de me publier

  19. À la suite du commentaire de « Vérité Justice », je suis un peu étonnée qu’un avocat au criminel fasse aussi du corporatif. Mais bon, je ne connais pas le domaine du droit en profondeur.

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