Samedi dernier, j’étais chroniqueure invitée à l’émission La Sphère (vous pouvez écouter en suivant le lien). Après avoir assistés à la présentation du document Citizenfour au RIDM, nous avions bien des questions à discuter. Pour ma part, je me suis attardée à quelques éléments significatifs du documentaire (quand on a fait de la sémiologie un jour on en fait toujours), voici donc mes quelques notes pour cette chronique.
Trois aspects mis en lumière par Citizenfour et ce que dit Snowden dans ce film…
La résistance contre l’asservissement d’Internet à des fins de contrôle
En mars 1989, Tim Berners-Lee met par écrit un projet de système de gestion de l’information qui deviendra le WWW (World Wide Web). Il le rend accessible à tous, gratuitement, le jour de Noël 1989.
La philosophie des premiers utilisateurs un héritage de Howard Rheingold (auteur du livre Smart Mobs, « vedette » avec le jeune Justin Hall, d’un documentaire de 1998 réalisé par Doug Block, Home Page, sur les premiers blogueurs) à Snowden – éducation, liberté d’expression et démocratie ouverte. Les porteurs de cette philosophie d’ouvertur du Web, défendent encore aujourd’hui la démocratie, la liberté d’expression et, bien évidemment le logiciel code source libre.
Dans ce document, Edward Snowden pose plusieurs questions en réfléchissant à haute voix à l’impact de ses déclarations : comment en sommes-nous passer du paradigme Élus / Électeurs à Dirigeants / Dirigés? une question qui devrait nous interpeller en cette ère d’austérité imposée.
Or, dans le rapport du centre de recherche Pew sur l’Internet de 2025 et la balkanisation des réseaux, Danah Boyd, de Microsoft remarque que les révélations d’Edward Snowden rendent les États plus méfiants. Il en résulte donc une fragmentation de l’information, qui ne circule plus aussi librement. Dans le rapport du centre Pew, on parle même de balkanisation du web.
Vous pouvez lire à ce propos, mon billet sur Triplex qui relatait les faits saillants du rapport du Pew Research Center.
Reprise adaptée du nouveau modèle de partenariat médias-dénonciateurs
Mis à l’épreuve par Assange et Wikileaks et repris par Snowden, ce modèle consiste à choisir des lots de documents à être étudiés par des équipes de journalistes de médias choisis en vue de ne publier que l’information pertinente. Ainsi, on rejoint les bonnes cibles et on risque moins de commettre d’impairs. Dans ce contexte, l’hydre à sept têtes dont parle Snowden dans le documentaire en a déjà deux, voire plus si l’on considère que Jacob Appelbaum qui témoigne à plusieurs moments dans le film et a aidé à sélectionner les renseignements fourni par Snowden, a été détenu 12 fois, à dû s’exiler à Berlin, tout comme Laura Poitras. Appelbaum a aussi collaboré au livre de Julian Assange 2012 Cypherpunks: Freedom and the Future of the Internetavec Andy Müller-Maguhn et Jérémie Zimmermann (que Matthieu a interviewé pour l’émission)
Pour comprendre mieux ce modèle de divulgation, il faut lire dans Rue89 Comment Wikileaks embringue la presse traditionnelle : Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, y expliquait sa stratégie de s’allier à des médias traditionnels (dans le cas présenté, le New York Times, le britannique The Guardian et l’hebdomadaire allemand Der Spiegel) pour valider et mettre en contexte les documents qui lui sont envoyés. Voilà qui redore le blason du journalisme d’investigation.
Sur mon blogue j’avais effleuré la question de Wikileaks et les médias.
Le vrai réseau, c’est celui qui relie des humains entre eux…
La caméra de Laura Poitras s’attarde sur le livre de Cory Doctorow que Snowden place dans ses bagages, comme un indice pour décrypter les valeurs qui l’animent : Doctorow, est éditeur du célèbre magazine boingboing.net, auteur de fiction et d’essai et amateur d’art. Un autre des fondateurs de boingboing, Frauenfelder a proposé d’utiliser Blogger en 1999 pour en faire un magazine en ligne, or ce groupe fait en quelque sorte partie des individus à la source du mouvement des blogs, comme outil de démocratisation de la prise de parole. Par ailleurs, ce magazine en ligne traite fréquemment de tout ce qui touche la règlementation du Web, la vie privée etc.
Jacob Appelbaum, expert en sécurité et défenseur de la vie privée, qui vit à Berlin, comme la documentariste Laura Poitras, est un contributeur au développement de TOR (The Onion Router). Il est aussi collaborateur de Julien Assange, cosignataire avec Jérémy Zimmerman du livre d’Assange. Bref, il y aurait là un réseau de filiations en soi à illustrer.
Le réseau américain…
Logiciel ouvert : Leif Utne, qui écrivait pour le défunt magazine de gauche Utne Reader (fondé par son père) est maintenant sur le conseil d’administration de Drupal…
Rebecca Blood, 15 ans de blogging
Howard Rheingold, auteur de Smart Mobs, pionnier du Web.
Justin Hall, pionnier des blogues, 20 années sur le Web.
Conclusion : les natifs numériques ont peut-être quelque chose à enseigner à leurs prédécesseurs…
Merci pour cet excellent billet. Je me permets d’ajouter modestement une goutte additionnelle au creuset de cette réflexion, soit la notion de pouvoir. La surveillance technologique, qui va de pair avec la montée de modèles de gouvernance décisionnels-opérationnels (fin prétendue des idéologies/idéologie technicienne comme « non-idéologique »), déplace le pouvoir (rapports politico-idéologiques débattables/démocratie) vers la puissance (l’efficience optimale qui nécessite le contrôle), d’où la tentation totalitaire de ces patiques de surveillance, comme leur généalogie dans le Total Information Awareness du Pentagone et le « Get it all » explicité dans le livre de Greenwald. Le problème devient que le « pouvoir » n’a alors plus de centre reprérable, d’où comme vous le notez la nécessité de réhabiliter les rapports esthético-politiques qui sont occultés par les processus techniques. « Le vrai réseau, c’est celui qui relie des humains entre eux… » Yes !
Ceci dit, vous me pardonnerez j’espère cette audace que je ne peux réprimer : j’aime toujours autant vos oeuvres ! Il s’y dégage une très belle douceur et une lumière que je trouve tout simplement envoûtante. J’espère sincèrement que vous peignez toujours.
Merci André, je vais lire le livre de Greenwald, ce n’est pas encore fait.
Pour la peinture, je vous remercie, j’ai malheureusement peu de temps pour peindre, mais je dessine… 🙂