Trois villes, trois taxis

Martine, de Ni vu ni connu suggérais un thème de mars, ou singeries de mars. La demande était pour hier – tiens comme au travail – mais j’y réponds aujourd’hui… Hé ! On est inspiré quand on le peut !

Bruxelles, octobre 1996

Je n’ai jamais vu un système de métro aussi compliqué que celui de Bruxelles : la même ligne, portant le même nom peut aller dans différentes directions, selon quelques détails que j’ai fini par comprendre après trois semaines, mais dont je ne me souviens plus aujourd’hui. C’est ainsi, qu’un soir de semaine, j’ai dû descendre du dernier métro dans un quartier dit « dangereux », à l’opposé de ma destination. Que fait-on alors ? On prend un taxi. J’avais tout juste une dizaine de coins de rues à parcourir et je m’en suis excusé au chauffeur. « Y’a que des petites courses de toutes façon ! », me dit le chauffeur avec un accent d’Afrique du nord. En entendant, mon accent à moi, il s’exclame « Vous êtes Québécoise ! Mon cousin habite là-bas ». Le temps de parcourir mes dix coins de rues et je savais qu’il avait aussi un cousin qui habitait au Mexique, un endroit appelé Mariposa, « Comme un papillon, vous savez… », ajouta-t-il. Et lui aussi avait envie de partir, à Montréal là où on vivait bien. « C’est pas raciste comme ici… », m’a-t-il dit avant que je ne sorte. J’ai bafouillé que je ne savais pas trop, qu’enfin peut-être et je l’ai salué. Mais j’ai soudainement vue la ville d’un autre œil, des petits incidents ont soudainement captés mon attention. Après tout, à cette époque Bruxelles vivait la tourmente de l’affaire Dutroux et lors de la Marche blanche, les communautés culturelles s’étaient soulevées, parce qu’on oubliait toujours de parler de Loubna, la petite Algérienne, elle aussi victime de Dutroux. Mais cela, c’est une autre histoire.

Québec, printemps 2000

La course allait d’un musée à une station de radio, ce devait donc être le printemps. À cette époque, j’étais toujours entre deux rendez-vous. Une minute je tenais la barre d’une émission à la radio et l’autre je courrais chez l’hebdo culturel du canton, ramasser un chèque, deux ou trois communiqués et puis, je me poussais vers une autre destination. La voiture était immense, une grosse américaine rutilante, bleu royal et blanche. L’homme qui la conduisait n’était plus jeune et ses cheveux blanc plus que blanc semblaient être ainsi pour aller avec la voiture. Il avait envie de parler et j’étais réceptive. Il m’a raconté comment il avait fait instruire ses trois fils grâce à ce gagne-pain et il a dit avec fierté, que son plus jeune était maintenant ingénieur. Avant que je sorte, il m’a donné un petit œuf de Pâques en chocolat, vous savez ceux qui sont emballés dans du papier alu coloré. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai mis dans mon sac, puis à la maison je l’ai posé à côté de mon ordinateur. En 2003, quand j’ai aménagé dans ma première et nouvelle maison, je l’ai retrouvé dans le petit panier à crayons qui traîne toujours sur mon bureau. Je ne l’ai jamais mangé et je ne l’ai jamais jeté non plus.

New York, été 2001

Il faisait chaud, comme d’habitude en plein juillet sur l’île de Manhattan. On m’avait bien prévenu quelques mois auparavant d’éviter les taxis qui roulaient fenêtres baissées, puisque cela signifiait que leur climatisation ne fonctionnait plus. Vite dit… Dans une ville étrangère, quand il est temps de héler un taxi, aussi bon comédien que l’on soit, on fait toujours un peu amateur. Perdue dans SoHo avec mon petit tailleur gris, je devais avoir l’air d’une fille du Connecticut venue à New York pour un rendez-vous d’affaires. Or, après de multiples essais, un taxi, toutes fenêtres ouvertes, s’est finalement arrèté. Le chauffeur était jeune, très jeune même et avait un fort accent que je ne connaissais pas. Au départ, à cause des cheveux noirs, des yeux en amandes, et du teint doré, je l’ai cru indien. Peut-être parce que j’étais moi aussi une étrangère, perdue dans la masse américaine, il m’a dit spontanément qu’il était Afghan. Je n’ai pas tout de suite compris or il a précisé : « I am from Afghanistan ». Je lui ai demandé s’il avait de la famille à New York, il m’a dit que oui, des cousins, mais qu’il espérait aider sa famille proche à immigrer. « New York is such a jungle why would you settle here ? », lui ai-je dit. « Everything is possible here », m’a-t-il répondu. Trois mois plus tard, quand les premières bombes ont explosées en Afghanistan, j’ai pensé à lui.

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

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4 réflexions sur « Trois villes, trois taxis »

  1. Chère Nad,
    Tes « Trois villes, trois taxis » m’ont rappelées ces petites aventures…

    Paris, hiver 1996
    Il est deux heures du matin, je sors de boîte. À la fois trop tard et trop tôt pour le métro, je prends le premier taxi qui se présente pour revenir à ma modeste chambre d’étudiante. En principe, le taxi, c’est rapide et apaisant dans la nuit parisienne pas toujours très amicale pour une jeune femme de vingt ans seule. Cette fois, mon chauffeur, un Blanc dans la cinquantaine, grassouillet et à moustaches, tient à me faire la conversation du début à la fin. Moi, plutôt bourrée, écoute d’une oreille distraite ce flot de paroles, pour finalement me rendre compte que le type me tient un discours sorti tout droit d’un florilège du Front National ; voulant stopper le flot, je tente une ou deux paroles maladroites. Mal m’en pris : une fois qu’il a compris que j’étais étudiante, je suis maintenant la cible de son discours, pour me proposer un moyen simple d’arrondir mes fins de mois… avec lui. Je n’en croyais pas mes oreilles. Ouf, on arrive : ébranlée, je lui demande s’il souhaitait que j’arrondisse mes fins de mois… en le dénonçant aux autorités. La course ne m’a rien coûtée, et je suis maintenant terriblement raciste avec les taxis parisiens : si le chauffeur est blanc, je passe…

    Mexico, mars 2001
    À Mexico, il y a deux sortes de taxis : les coccinelles vert lime, pas chères, peu confortables et déglinguées, dont les chauffeurs, souvent sans licence, ne parlent qu’espagnol et sont toujours ouverts à la négociation ; puis les Mercedes, plus chères, avec air climatisé, chauffeur parlant l’anglais et avec un taximètre efficient. À Mexico, il y a aussi la grande paranoïa ambiante des touristes : prendre un taxi, surtout une coccinelle verte, c’est risquer sa peau, se faire dévaliser, se faire pointer un revolver pour vider le compte de banque au guichet automatique le plus proche, pis, se faire violer… Bref, ai-je besoin d’ajouter qu’on recommande aux femmes seules de ne jamais prendre un taxi, surtout une coccinelle et encore plus de nuit ? Après une première expérience dans le métro à l’heure de pointe (archi bondé, et le Mexicain moyen m’arrive à l’épaule, donc vous imaginez où arrive son nez…), j’ai pris ma première coccinelle seule. Je précise que je ne parle pas espagnol. Avec mon plan pour suivre le chemin, avec ma monnaie pour payer en change exact, avec une certaine nervosité. Rien, il n’est rien arrivé. Pour la première fois, j’étais complètement attentive à tous les gestes, dits et actions d’un chauffeur de taxi, et ce ne fut qu’une simple et banale course… Comme toutes les courses subséquentes, d’ailleurs. Toujours en coccinelle : c’est plus joli.

    Sarajevo, octobre 2001
    Il est très tôt, cinq heures du matin. Je dois prendre un vol à 6h, pour retourner à Zagreb, et de là prendre un train jusqu’à Venise… C’est une longue journée de transport qui s’annonce. Ma logeuse, avec qui je cause un anglais matiné d’allemand, a eu la gentillesse de m’appeler un taxi. En prenant avec elle le café à la turque, j’attends dans le noir ce taxi improbable, qui arrive à l’heure demandée. Un bel échantillon de mâle slave prend ma (très lourde) valise, puis après de dernières recommandations de ma logeuse, lance sa vieille Mercedes vers l’objectif. En silence. Notons que, comme la plupart des Bosniaques, mon chauffeur cause le bosniaque, point. Mon propre bosniaque se limite à bonjour, merci et au revoir (et une bière SVP). Après 10 minutes de trajet et de silence, mon chauffeur me lance : « Canada? » Et je lui réponds : « Canada ». 5 minutes plus tard, il me rétorque : « Indians in Canada ». Et je lui réponds : « Yes ». Enfin, il conclut : « Cold in Canada ». Puis nous sommes arrivés à l’aéroport. Il me sort ma valise avec un grand sourire, me lance un tonitruant au revoir en bosniaque, et je lui laisse un pourboire substantiel pour l’effort de communication : en 20 minutes, il a réussi à trouver quelques mots d’anglais pour me dire les deux choses qu’il savait sur le Canada.

  2. Jules Verne aurait fait le tour du monde en taxi-s

    Comme je le disais à Martine, qui a commenté juste avant toi, il faut croire que la veine « taxis » est fructueuse et qu’un recueil de récits avec photos pour nous faire faire le tour de la terre… Sur compteur multi-devises étrangères !

    Merci, de cette généreuse collaboration…

  3. Je suis tombé sur cette page par hasard. Puis je me suis mis à lire. C’est intéressant. Le seul passage qui m’a gené, c’est « La course ne m’a rien coûtée, et je suis maintenant terriblement raciste avec les taxis parisiens : si le chauffeur est blanc, je passe… »

    Si on est tombé sur un blanc con, raciste et français, de plus chauffeur de taxi, c’est pas une raison pour croire que les autres sont pareils.

    Le racisme est condamnable dans tout. Si on profite du racisme des autres pour s’excuser de l’être soi-même, ça ne veut plus rien dire du tout…

    Sinon, bonne continuation à tous !

    C-C

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