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Grandmaison, Jungen et Roy-Bois : les illusionnistes au MACM

Je suis passée en coup de vent à Montréal – d’où, sûrement les orages qui ont marqué mon séjour de 24 h – question de visiter la bibliothèque de l’UQAM et de faire un saut au MAC. J’y allais pour voir les œuvres Brian Jungen, Pascal Grandmaison et Samuel Roy-Bois. J’avais écrit pour Voir et un centre d’artistes de Québec sur une installation de ce dernier, j’étais donc curieuse de côtoyer encore son travail.

Parlons un peu de Jungen. Son nom révèle en quelque sorte l’envers de son œuvre, puisqu’il est né en Colombie-Britannique d’un père suisse et d’une mère amérindienne. À première vue, ses œuvres semblent des pièces d’artisanat traditionnel ou des artefacts d’histoire naturelle : on voit d’abord des squelettes de cétacés, des masques rituels amérindiens et des sculptures aux formes organiques. En fait, les gigantesques squelettes suspendus au plafond sont composés de retailles de chaises de patio en plastique blanc assemblées pour évoquer la forme des mammifères marins. De la même façon, lorsqu’on regarde les masques de plus près, on constate qu’ils s’inspirent des objets de rites amérindiens, mais ils tiennent aussi de la culture populaire (le casque de Dart Vader est du lot) et ils doivent leurs couleurs aux chaussures Nike Jordan à partir desquelles ils sont réalisés. Ces masques font partie d’une série intitulée, Prototype for New Understanding, ce qui met en contexte ce travail intrigant.

Pour lier le tout, une série qui met en lien la culture familiale de Jungen et sa culture acquise : soit des « igloos » fait à partir des boîtes d’espadrilles Nike et des sculptures réalisées avec des ballons de soccer. En se réappropriant ainsi la culture populaire pour l’intégrer à son héritage, Jungen fait figure de prestidigitateur. Or, les « prototypes pour un nouvel entendement » et les squelettes de plastique valent à eux seuls le déplacement. Mais le Musée avait encore pour nous les œuvres de deux autres jeunes illusionnistes à nous proposer : Grandmaison et Roy-Bois.

Pascal Grandmaison travaille la photo, souvent le portrait ou le détail de la trace humaine avec une rigueur presque scientifique. Dans chaque salle qui lui est consacrée les œuvres semblent témoigner d’une expérience esthétique à laquelle s’est livré l’artiste et pour laquelle les photos ou la vidéo sont le « constat ». Comme il s’agit d’art, les résultats ne sont jamais finaux et se renouvellent plutôt avec chaque expérience. Parmi ces expériences, Verre présente des portraits pris à travers un verre porté par chaque sujet, Ouverture offre la silhouette de la tête des sujets photographiés de dos et Upside land met en scène le détail de la semelle d’une chaussure de course proposée comme un horizon inversé.

Chaque série d’œuvres, tout comme les vidéos Air et Diamant, peut être appréhendée selon deux points de vue : soit la valeur esthétique des silhouettes humaines et des détails photographiés toujours sur fond blanc ou encore pour l’intérêt de la recherche et du questionnement artistique présenté dans chaque série.

En ce sens, la pièce vidéo Air, associée à Upside land, semble faire le pont entre les différentes œuvres de l’exposition. On y voit le relief d’un ventre cadré horizontalement qui se soulève à chaque respiration créant une ligne d’horizon velue et mouvante sur fond blanc. « Air », comme les chaussures sports (peut-être celles qui s’offraient dans leurs détails intimes plus tôt), peut nous faire porter un regard différent sur les silhouettes que l’on voit dans la série de photos Ouverture ou les portraits de Verre créant un lien avec le monde de l’image largement exploité par la publicité.

De ce tout cohérent se dégage une esthétique épurée très actuelle, à la fois liée au formalisme et évoquant les lignes recherchées et minimalistes des marques de consommation telle que Mac. Bref, c’est une œuvre qui intrigue et qui demande qu’on revienne sur nos pas et revoie certaines pièces en apparence uniquement esthétique pour bien la saisir.

Et maintenant, Samuel Roy-Bois, avec son « Improbable et ridicule » installation. Roy-Bois a une fascination pour l’architecture et pour les constructions humaines que l’on fabrique depuis l’enfance, de la cabane faite de rebuts aux tours d’habitation où s’empilent comme autant de clapiers les espaces personnels humains. Il donne le ton en incluant dans le parcours du visiteur deux esquisses tracées méticuleusement sur papier représentant des tours d’habitation auxquelles répondent les deux installations Ghettos et Satellites.

L’œuvre Satellites impressionne par son échelle, puisqu’il s’agit de deux habitacles « une-pièce » qui, comme les manèges de notre enfance, pivotent lentement sur eux-mêmes en se déplaçant sur un axe giratoire. Tels deux satellites d’une même planète, les habitacles se déplacent, se trouvant ainsi comparés dans leurs navrantes et banales similitudes : mêmes intérieurs aux murs presque finis, tapis gris et luminaires sans âme, même surface extérieure sans revêtement révélant l’isolant rose et les structures de bois.

Dans l’autre salle, on découvre Ghetto, une cabine munie de fenêtres desquelles on peut voir l’intérieur entièrement occupé par un lit double vêtu modestement de draps blancs et d’une couverture grise. Une porte permet d’entrer dans la cabine et à en juger par les traces de doigts autour de la poignée, plusieurs visiteurs se sont livrés au jeu. Ghetto fait penser aux quartiers improvisés à l’aide de matériaux de fortune qui surgissent autour des grandes villes comme Toronto où l’habitation à prix modique est de plus en plus un luxe.

L’ensemble « Improbable et ridicule » est on ne peut plus probable et révèle cette solitude inhérente aux grands complexes d’habitation anonymes, où dans chaque logis semblable à l’autre se déroulent des vies différentes qui ne se rencontreront vraisemblablement jamais. Ainsi, la cabine de Ghetto rappelle que les petits espaces que l’on fait sien au cœur de la ville sont à la fois intimes et exposés à l’indifférence de tous. C’est donc une réflexion fort poétique sur la forme de l’habitacle humain qui s’amorce devant le travail de Roy-Bois.

Si la canicule se poursuit à l’extérieur, allez vous rafraîchir les idées dans les musées…

Brian Jungen du 27 mai au 4 septembre 2006

Pascal Grandmaison du 27 mai au 9 octobre

Samuel Roy-Bois: Improbable et ridicule, du 27 mai au 20 août 2006

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

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3 réflexions sur « Grandmaison, Jungen et Roy-Bois : les illusionnistes au MACM »

  1. Belle description. Ça me donne vraiment envie de passer outre mon refus de retourner à Montréal pour le moment. C’est le genre d’activités qui pourtant m’inciterait à y retourner… en coup de vent.

  2. Merci… J’aime Montréal, mais à dose homéopathique, d’où mes passages en coup de vent.

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