Être un bon communicateur, c’est prendre le pouls de l’auditoire et adapter au besoin son message pour atteindre sa cible. Quand on veut capter l’attention, on utilisera l’humour, un franc-parler qui fait image, voire qui choque un peu. Mais attention, c’est une arme à deux tranchants, le maire de Québec, Régis Labeaume, en est un bon exemple, car entre dire le fond de sa pensée avec transparence et se nuire, il n’y a parfois qu’un pas.
Je pensais à tout ça, en me rappelant Ted Sorensen, décédé la semaine dernière, dernier témoin de l’administration Kennedy et dont j’utilisais les judicieux principes pour enseigner la rédaction de discours à mes étudiants de la Cité collégiale à Ottawa. Sorensen, conseiller politique et rédacteur, recommandait d’utiliser un langage simple ponctué de formules enlevantes et de faire quelques plaisanteries pour «connecter» avec la foule. Il a aussi raconté comment parfois une plaisanterie maladroite vole le spectacle et devient la seule chose qu’on retiendra d’un discours. C’est arrivé à Kennedy qui devait raconter qu’il avait pris un taxi afin de ne pas être en retard. Il a poussé un peu plus, ajoutant que plutôt de donner un gros pourboire au chauffeur en lui demandant de voter démocrate, il lui avait donné un petit pourboire en lui demandant de voter républicain. Personne n’a saisi l’ironie et les journalistes ont rapporté cette histoire comme étant vraie. Ouille!
Un politicien a un devoir de respect de la démocratie dans ses actions et ses déclarations. Quand il prend la parole (et Ted Sorensen le prône aussi) ses mots doivent inspirer la vertu et la justice. S’il montre ouvertement des préjugés contre sa fonction publique, contre certains individus, comment pourra-t-on être assuré qu’il exerce une gestion saine et juste? On ne le pourra pas.
Dans le cas du maire de Québec et des déclarations sur l’incompétence de ses fonctionnaires − peut-être qu’un maire qui ne sait pas ce que ses fonctionnaires font n’est pas à ses affaires − comment pourra-t-il prétendre gérer ses directeurs avec impartialité après s’être ainsi commis dans les médias? Il ne le pourra pas, il a révélé un biais et donné des armes à la partie accusée pour crier au préjudice.
Être authentique, avoir son franc-parler c’est bien beau, mais il faut aussi savoir s’adapter à son public pour que le message passe… Car donner un bon show, être partout c’est revalorisant, mais quand les blagues priment sur le message, on rame en vain.
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Secrets’s from JFK’s Speechwriter pour lire les trucs de base de Sorensen
Le franc-parle de tonton Labeaume, Jean-Simon Gagné, Le Soleil
Conseils judicieux que plusieurs profiteraient à appliquer.
J’ajouterais aussi que la formule trop forte, qui sert à bien marquer l’imaginaire de son auditoire peut être contre-productif. L’exemple récent du maire du plateau Mont-Royal contre le Journal de Montréal et sa proposition aux employés en lock-out me vient à l’esprit. En utilisant des qualificatifs comme « navire puant » il discrédite à mon sens tout argument pertinent, surtout pour un élu. Sans aller vers l’autre extrême de la langue de bois, une charge plus posée et avec un langage moins vindicatif aurait mieux servi la cause ou sa pensée. Certains ont apprécié cette sortie sur son blogue, y voyant une expression sans filtre, j’y ai plutôt vu une antagonisation encore plus marquée et qui limite les négociations.
Je suis tout à fait d’accord avec vous, car l’élu n’a pas la même licence poétique que le polémiste qui travaille dans un média. Un politicien doit s’exprimer clairement, mais garder une certaine retenue pour ne pas salir l’image de ses citoyens, qu’ils soient journalistes ou fonctionnaires. Donner une opinion personnelle, sans filtre, n’est pas digne de quelqu’un qui a été élu dans un processus démocratique. Comme vous le soulignez, en utilisant un vocabulaire aux limites du vulgaire, on nuit même à d’éventuelles négociations.