La conférence Voyeurisme 2.0 : l’éthique, l’autorité et la popularité de l’avant…

Source : Événement Facebook de Radio-Canada

Est-ce que dans le contexte des médias sociaux la popularité supplante l’autorité ou l’expertise réelle dans un domaine ? C’est le genre de questions auxquelles se sont frottés les quatre panelistes réunis le 27 octobre dernier pour discuter des médias sociaux. La conférence Voyeurisme 2.0 : sommes-nous tous (devenus) des experts?était organisée par Radio-Canada, animée par Philippe Femhiu et donnait la parole à deux professeurs de l’université de Montréal, André A. Lafrance et André H. Caron, ainsi qu’à Luce Julien, Première directrice de RDI, et Alain Bidjerano, Directeur des communications interactives de Radio-Canada. Pour un résumé des propros de chacun basé sur le podcast, il faut lire Laurent Lasalle sur Triplex, j’esquisse ici mes questionnements et observations.

Le contexte actuel : les médias happés par la vague sociale

Cet événement convivial, dont la formule, en ce qui a trait à l’orientation du contenu, gagnera à être raffinée, arrivait à point nommé, ne serait-ce que pour reconnaître qu’il faut aborder ces questionnements avec suffisamment de sérieux, voire les documenter. C’est peut-être le rôle des universitaires, mais il est plutôt ressorti dans le discours des professeurs, confrontés au quotidien à des étudiants immergés dans les technologies et les médias, que la transmission d’un savoir de personne à personne devient une difficile compétition contre les médias. J’ai bien aimé à ce propos, André H. Caron, dont l’autorité naturelle est flagrante qui racontait comment il imposait dans certains cours la prise de notes sur papier (donc sans ordinateur sur la table), pour induire la concentration. Cela dit, j’aurais aimer savoir comment les universités documentent et appréhendent le phénomène actuel des réseaux sociaux.

En cours d’événement, Alain Bidjerano a posé l’idée que les médias sociaux ne sont pas des médias. Les commentaires sur Twitter, que l’audience pouvait voir à l’écran derrière les panelistes, montraient un certain désaccord avec cette proposition. Ce commentaire a été retwitté et vu par le public présent, mais pas par le principal intéressé :

#ConferenceRC Dire que les médias sociaux ne sont pas des médias c’est avoir une pensée vieille.Ça dit juste que tu as étudié en journalisme – Thoma Daneau

Or, si M. Bidjerano avait pu préciser sa pensée, donc si on lui avait demandé de le faire, nous aurions pu mieux comprendre son point de vue. Qui, à mon humble avis se défend, car le mot média a plus d’un sens, par exemple une publication produite par un individu ou une organisation et qui répond à une ligne éditoriale (pour peu qu’on sache ce qu’est une ligne éditoriale) ou encore média au sens de truchement de la communication. En ce sens, les réseaux sociaux sont des médias de communication, accessibles à tous, en opposition à la publication faite selon les paramètres d’un éditeur.

Les commentaires et réponses de Luce Julien, de RDI, qui a souvent insisté sur l’éthique qui doit toujours encadrer le travail des journalistes, ont particulièrement retenu mon attention. La clarté de ses déclarations et leur à-propos dans le contexte actuel venait contredire ceux qui prétendent que les journalistes ne sont pas tenus à une éthique particulière, autre que leur propre code de conduite. Ses commentaires arrivaient aussi dans le contexte où des représentants chevronnés des médias (comme Pierre Sormany à Montréal ou Nir Rosen à New York) se sont vus cloués au pilori pour une déclaration impromptue.

Le rôle d’un diffuseur public, qui plus est société d’État dans ce contexte

En fait, ce qui pour moi est ressorti avec force de cette première (et pas dernière, espérons-le) rencontre à Radio-Canada, c’est le rôle de choix que peut choisir d’endosser le diffuseur public dans ce monde des médias en changement. Si des événements comme la suspension de Jacques Languirand ou celle de Pierre Sormany ont fait sourciller la population (quoi? on peut être suspendu à Radio-Canada pour quelques mots de travers?), ils ont aussi rappelé que notre diffuseur public a un code d’éthique professionnel et de conduite pour ses journalistes et employés, ce qui n’est plus le cas dans beaucoup d’entreprises médias.

À une époque où il fait plaisir d’enfreindre la morale pour augmenter le moindre profit, où nous pouvons douter de ce que signifie le terme éthique professionnelle et alors que l’expertise un terme galvaudé, appliqué souvent sans distinction à tout talent un tant soit peu rentable, une réflexion s’impose.

À la sortie, je me demandais encore quand nos médias oseront envisager ce que la France contemple : cesser de donner dans leurs communications quotidiennes, une visibilité gratuite à des corporations comme Twitter et Facebook.

Twitter and Facebook reminders banned from French airwaves.

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

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9 réflexions sur « La conférence Voyeurisme 2.0 : l’éthique, l’autorité et la popularité de l’avant… »

  1. Probablement que le sens des mots d’Alain signifie : « quand j’utilise la canal Facebook pour communiquer, je ne suis pas une institution médiatique ». La frontière est plus flou entre les médias sociaux et les institutions médiatiques, ces dernières ayant acaparé le vocable « média » pour leur propre activité mais n’en ont plus aujourd’hui le monopole, d’où la difficulté de nommer les choses. La « ligne éditoriale » dont tu parles est peut-être un facteur de différenciation –quoi qu’encore, tu as probablement toi aussi une ligne éditoriale sur ton blogue, même si personne ne te l’impose.

    Pour ce qui est de nommer les compagnies qui font les « médias sociaux » (comme « publicité gratuite), je crois que le problème n’en est pas un de volonté. C’est révélateur de la difficulté croissante de nommer la nouvelle réalité numérique. Peut-on _ne pas_ employer un nom commercial pour l’exprimer? Même si les noms existent…

    Google pour moteur de recherche, Facebook pour réseau social, iPhone pour téléphone intelligent, Skype pour service de téléphonie vidéo… Internet concerne une grande partie de notre activité quotidienne et de l’interaction humaine dans nos sociétés. Bien sûr, Facebook n’est pas les réseaux sociaux, et les réseaux ne sont pas Facebook. Mais se donner un «rendez-vous dans les réseaux sociaux» ne veut rien dire… Une page Facebook n’est pas une page MySpace. Suivre Twitter ou suivre Tumblr ne donne pas les mêmes résultats, non?

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  3. Pour ce qui en est de la déclaration d’Alain Bidjerano, il distinguait plus loin dans la conférence la notion de réseau social et de média social. Qui sait, peut-être approuvera-t-il la définition que tu proposes…

    Pour complexifier notre équation : oui, j’ai une ligne éditoriale sur mon blogue, ce qui en fait un média personnel qui comporte une dimension sociale, puisque nous discutons et partageons les contenus publiés ici.

    Je suis assez en accord avec ta vision des compagnies qui mettent à notre disposition leur site social : cela souligne notre difficulté à nous situer. Ne disait-on pas un frigidaire pour désigner un réfrigérateur?

  4. D’abord, merci Nadia d’avoir pris le temps de commenter cet événement et d’y avoir participé.

    Au sujet du tweet de Thoma Daneau, je pense qu’il se trompe, je n’ai pas fait d’étude en journalisme mais en technique dentaire ;-). Sur le fond, il se trompe aussi. Je pense que soutenir que les réseaux sociaux sont des « médias » c’est comme dire que ma Ferrari est un autobus scolaire parce que je m’en sers le matin de 8h à 9h pour amener mes enfants à l’école. Mon utilisation est juste ma vision est absurde.

    On peut se servir des réseaux sociaux dans une approche « broadcast » unidirectionelle pour transférer des contenus c’est absolument vrai et parfois judicieux mais on n’utilise alors qu’une infime partie de leur potentiel. En estimant que les réseaux sociaux sont des médias, j’élabore un schème de pensée qui va à terme en limiter mon utilisation pratique et ma capacité à les bouleverser.

    En gros, je n’ai pas besoin de Facebook et Twitter, pour ne parler que d’eux, pour diffuser un contenu. Par contre ils me deviennent presque indispensables si je veux bâtir ou améliorer une relation avec un humain ou une communauté. La finalité du média c’est de diffuser du contenu mais la finalité d’un réseau c’est de tisser des relations.

    De là surgit une autre conséquence. Dans un cas the « content is king » dans un cas autre le contenu est anecdotique il est le support de mon intention ultime qui est la relation. Dans un monde où le contenu est une commodité la valeur se transfère vers la relation qui reste rare de par sa nature même.

    Cette vison limitative du « réseau » comme « media » est d’ailleurs un des enjeux des entreprises médiatiques qui depuis presque 15 ans utilisent les avancés d’Internet en les considérant toujours dans une logique média. La réponse à chaque avancée et donc toujours la même : « et si je balançais mes contenus sur cette nouvelle , nouvel , nouveau… ».

    Bien sûr, de nombreux médias tirent leur épingle du jeu et font un travail remarquable mais les métaphores qu’ils utilisent pour exister dans le réseau qu’elles soient reliées aux champs sémantiques du média ou de l’immobilier (site, portail, destination, propriété, real estate, etc.) les limitent au lieu de les transcender.

    Le problème de cette approche pourrait juste être amusante si elle n’avait pas des conséquences d’un point de vue d’affaire. Adopter une telle vision, c’est souvent renoncer à l’innovation. Avec un tel état d’esprit, peut-on penser que le prochain Facebook, Google, Spotify ou WordPress sera inventé par un média ?

  5. @Alain, tu vois comme on se trompe parfois sur ce qui motive les gens… Toute chose considérée, cette idée du média social qui existe dans le but de tisser une relation et où le contenu est un prétexte ou un objet de troc dans cette relation me plait bien. En fait, je crois même que cette optique du contenu comme objet transactionnel dans la relation tend à nous faire croire que le contenu a moins de valeur. Ce qui équivaudrait à envisager tout contenu comme un vecteur de socialisation (sujet de machine à café diront certains) et sans valeur intrinsèque en-dehors de ce contexte. Heureusement, ce n’est pas la cas et si les contenus changent de formes et se dynamisent grâce au Web, il n’en reste pas moins que c’est dans le texte et les médias qui l’illustrent que résident la réflexion. Et là, on parle plus de pérennité ou de continuité des idées pour établir l’autorité, que de popularité.

    Merci de cette contribution qui nous pousse à continuer la réflexion hors des panels et conférences..

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