L’affaire Languirand contre les communicateurs…

Jacques Languirand, un communicateur érudit, une légende radiophonique, a créé des remous lorsqu’il s’en est pris à quelques collègues des communications qui auraient oublié de l’inclure dans la présentation de la programmation. Il avait raison de voir cet «oubli» comme un manque de respect pour son travail apprécié, mais a-t-il ouvert le feu vers la bonne cible? Est-ce que les gens des communications décident vraiment de l’entièreté du contenu d’un tel spectacle sans l’assentiment de la direction? Je me permets d’en douter.

En communication on est souvent un maillon de la chaîne...

Vous le savez peut-être, mais j’ai occupé le poste de relationniste principale pour le Musée des beaux-arts du Canada, une société d’État canadienne. Dans ce poste, j’ai organisé autour de 30 événements de presse, allant du grand lancement de saison dans trois villes, à l’événement intimiste pour une artiste à qui quelques pieds carrés de cette vénérable institution étaient consacrés. Si j’avais beaucoup de latitude sur le choix des stratégies de communication, des tactiques et des outils, le scénario des événements m’était souvent dicté, d’une part par le protocole et d’autre part par les priorités des secteurs marketing, levée de fonds etc. Puis, la dernière approbation et la plus importante me venait du directeur du Musée, celui qui portait la vision de l’institution. Si j’avais oublié ou ajouté un invité, ledit scénario me serait revenu avec la correction. Et ce processus, je l’ai vu dans toutes les organisations où j’ai travaillé à titre de relationniste, directrice des communications ou stratège médias. Le communicateur suggère, le directeur tranche et impose une vision.

Les gens des communications peuvent souvent influencer le contenu, sa présentation et par leur créativité faire d’un show banal un événement distinctif, mais ils ne décident pas des priorités de l’entreprise ou des angles spécifiques d’une programmation. Or, si M. Languirand veut vraiment en découdre avec les responsables de cet oubli, il devra probablement s’excuser aux gens des communications et demander à parler avec la direction des programmes.

Cela dit, j’appuie quand même M. Languirand de façon inconditionnelle, car dans la vie, il faut parfois prendre partie, ne serait-ce que pour rappeler qu’une légende, même quand elle se trompe de cible, reste un grand homme et avant tout un humain.

 

Nadia Seraiocco

Spécialiste relations publiques et médias sociaux | conférencière | blogueuse

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24 réflexions sur « L’affaire Languirand contre les communicateurs… »

  1. Ping : Tina Karr
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  5. Tout l’art de la communication est dans la qualité de la relation avec les parties prenantes d’une situation. Une icône comme Monsieur Languirand ne pouvait pas être simplement ignorée par les communicateurs.

    Le placer ainsi devant un fait accompli était la dernière façon de lui communiquer la décision prise à son sujet.
    Un professionnel des communications devrait savoir cela avant même de rentrer à l’université. C’est le plus élémentaire discernement même pour un simple quidam.

  6. Ping : Claude
  7. Ping : DominiqueCaisse
  8. Merci de votre commentaire Diane. Je crois que l’on jette la pierre aux communicateurs (qui ont une part de responsabilité) un peu vite, mais en fait les communicateurs ne décident pas qui sera en vedette dans un pareil lancement. Ils développement un concept d’événement, mais pour la base du travail, ils prennent les grandes lignes transmises par la direction. Tout comme les communicateurs n’engagent pas les animateurs-vedettes, ils ne décident pas qui sera tête d’affiche…

  9. Tellement vrai. Les communicateurs ont un rôle conseil. Cela n’implique pas nécessairement que les recommandations seront acceptées. Au bout du compte, c’est « le client » qui décide et qui en subit les conséquences… pour le meilleur ou pour le pire.

  10. Clément vous travaillez aussi dans le domaine, vous savez donc combien de scénarios reviennent au communicateur annotés, voire modifiés.. Le communicateur suggère et met en oeuvre la vision d’une entreprise.

  11. Je trouve le débat intéressant et je voudrais y apporter ma contribution. Je vous signale au passage que je travaille comme directeur des communications interactives à Radio-Canada.

    Je sais que mon intervention ne répond pas à toutes les questions : jusqu’à quel point doit-on suivre une politique interne de ressources humaines ? Jusqu’à quel point doit-on ignorer des insultes ? Jusqu’à quel point le respect dans le milieu de travail doit être sanctionné ? À partir de quand une personne a des privilèges qui lui permettent de passer outre à des règlements internes ? Etc. J’ai plutôt envie de rester dans le fil du débat et de parler de la réalité des communicateurs et de leurs activités.

    La création d’un événement de presse comme le lancement de la nouvelle programmation radio est un exercice méthodique qui demande beaucoup d’interventions, de compromis et de validation. Chaque personne qui est invitée, qu’elle intervienne ou non, est prévenue à l’avance. Les personnes sélectionnées pour parler publiquement sont toujours « briefées » et informées de leur temps de parole. Les autres sont invitées à être présentes et à parler aux journalistes qui souhaitent obtenir une entrevue. Bref, dans la préparation d’un événement de presse, il n’y a pas de surprise ou de faits accomplis. Les paramètres de présentation et d’intervention sont discutés avec toutes les personnes impliquées en amont, lors de la préparation de l’événement.

    L’élément le plus important dans les choix du contenu et de la forme de ces lancements est dicté par une seule idée : satisfaire le public cible c’est-à-dire les journalistes et les blogueurs présents. Le lancement de presse d’une programmation n’est pas un gala ou une remise de prix. L’objectif n’est pas non plus l’autocongratulation ou la reconnaissance bien que ce soit toujours agréable. L’objectif vise d’abord et avant tout à ce que les représentants des médias présents aient tout le matériel nécessaire pour communiquer de façon complète, et si possible de manière positive, les éléments d’une programmation. Les résultats se mesurent en temps quasi-réel dans les réseaux sociaux et le lendemain dans les articles de journaux et chroniques des médias électroniques.

    Dans ce type d’événement, les journalistes veulent des informations concises, d’où l’obligation de gérer le temps et le nombre d’intervenants. De plus, les journalistes sont particulièrement intéressés par tous les aspects nouveaux d’une programmation. On peut discuter de cette dictature de la nouveauté et du manque de temps des journalistes mais c’est une réalité dont il faut tenir compte afin de faciliter leur travail.

    Dans le cadre du lancement de presse de lundi dernier, en dehors de toute polémique, il faut comprendre que ce n’était pas la première fois en quarante et un an de carrière que monsieur Languirand ne prenait pas la parole face aux journalistes (à titre d’exemple, c’est arrivé à cinq reprises dans les 10 dernières années). Cependant, il avait été officiellement invité à l’événement comme tous les autres animateurs. Il savait qu’il n’avait pas à prendre la parole en avant (et il n’était pas le seul) mais il avait tout le loisir de parler et d’accorder des entrevues aux journalistes présents comme c’est d’usage dans ce type d’événement.

  12. Ping : Alain Bidjerano
  13. Ping : Yvon Gravel
  14. L’Affaire Languirand en cache une autre plus fondamentale. Le nouveau directeur de la radio, « agent de changement » autoproclamé, est en train de saborder la programmation originale de Radio-Canada. Peut-être le fait-il sur la base de ses convictions (et de sa certitude d’être le seul à avoir raison!), mais cela aura pour effet de faire fuir un auditoire fidèle. Cependant, il est probable que la commande vienne de plus haut. Pour paraphraser Guéhenno, la radio intelligente fait des citoyens difficiles à gouverner…

  15. @Alain Bidjerano : Le débat actuel est dans la suspension de M. Languirand plutôt que dans le fait qu’il n’ait pas été invité à parler. Les arguments évoqués par la SRC ne justifient en rien la suspension de l’animateur.

  16. Ping : Nadia Seraiocco
  17. Ping : Steve Boudrias
  18. Je lis tous vos commentaires et vous en remercie. À la lecture du message d’Alain de la SRC et de ceux qui y répondent, je vois deux aspects à ce débat : d’une part la sanction appliquée par le gestionnaire au geste de Languirand, qui se justifie dans un contexte de société d’état, versus ce geste, qui dans un autre média serait tout au plus un esclandre dont les conséquences se doivent d’être discutées entre les gens concernés. Mais on oublie souvent que la SRC a ce double statut de média (avec la latitude d’expression qu’on lui souhaite) et de société d’état avec le cadre parfois rigide de la fonction publique… À méditer et discuter…

  19. En lisant tous les commentaires un peu partout, j’ai été très surprise de voir à quelle vitesse le public et plusieurs journalistes se sont rangés du côté de M. Languirand en le posant en malheureuse victime, alors que c’était lui l’attaquant! Tout ça en ne manquant pas au passage de dénigrer les relationnistes de Radio-Canada, on aime toujours malmener notre bonne vieille société d’état! Bien sûr il n’y a eu pas mort d’homme, et on doit reconnaître que le brillant animateur a une longue et riche carrière derrière lui, mais il reste que M. Languirand a tenu des propos injurieux et vulgaires à l’endroit de ses propres collègues et de son employeur, dans le cadre d’un événement public auquel il avait été invité et en sachant fort bien ce qu’on attendait de lui.

    Le coeur du problème, et c’est là le vrai débat, à mon humble avis, c’est qu’on a complètement occulté la question du respect des individus dans leur milieu de travail et en société. Oubliez la genèse de l’événement, le « pacing » du lancement, est-ce la faute des communicateurs, ou même les raisons peut-être tout à fait légitimes de la colère de M. Languirand. On parle ici d’une valeur fondamentale à laquelle nous aspirons tous. Dans notre société que nous croyons si évoluée, peut-on travailler dans un environnement sain, dénué de discrimination, de sexisme, et qui valorise le respect des employés au quotidien? Est-ce que toutes les entreprises peuvent se vanter d’offrir de tels environnements? Je ne vois pas ici aucune forme de rigidité de la part de la SRC.

    En ne sanctionnant pas M. Languirand, Radio-Canada contreviendrait à sa propre politique institutionnelle sur le respect. Elle se trouverait à cautionner d’autres actes du genre se déroulant à l’abri du regard des médias: insultes, harcèlement, violence verbale, etc. A part M. Bidgerano, on n’a pas entendu les employés sur la question et j’imagine qu’on leur impose un devoir de réserve. Mais je ne serais pas étonnée que bon nombre d’entre eux aient ouvertement salué la décision de la direction. Chose certaine, une entente est à souhaiter pour les deux parties. Ce fameux doigt d’honneur n’aura servi à personne finalement.

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