Il n’y a pas de cachette, ma mère s’appelle Pauline Golaneck, son père s’appelait Alec (connu sous le prénom de Gabriel) et était le frère d’un certain Michel Golaneck à qui est dédié le livre marquant de Jérôme Desbiens, alias le Frère Untel. L’autre dédicace va à André Laurendeau, auteur, journaliste, intellectuel, un homme qui a moins besoin de présentations.
Voici donc les notes concernant la dédicace de ce livre, on peut les consulter en ligne ou télécharger le document à partir du site de l’Université du Québec à Chicoutimi. En les lisant, je me reconnais dans la personnalité éprise de justice de mon grand oncle. Il faut dire qu’avec cet héritage maternel et un lien très fort avec mon père, qui, mes amis en témoigneront, continue à 75 ans passés à se prononcer contre l’exploitation des travailleurs et la corruption, ma voie était toute tracée.
Je ne suis ni une auteure, ni une journaliste ou intellectuelle reconnue, mais je tiens néanmoins à mes principes et je me dis que si Michel Golaneck avait les moyens d’être un homme de principes, je les ai un peu plus que lui, je me dois donc de m’affirmer.
Or, je ne supporte pas : la petite dictature à cinq sous, les gens qui pensent par des stratégies simplistes d’intimidation faire taire autrui, ceux qui retournent leur veste selon les gains à en tirer. J’en conclus que mon attitude est redevable à la génétique 😉
Justification des dédicaces.
À l’époque, je n’avais pas noté que les mots insolence et insolite ont une racine commune qui signifie : inaccoutumé.
Michel Golaneck est mort en 1965 ou 1966. J’étais alors fonctionnaire au ministère de l’Éducation. L’infirmière qui était de service un certain après-midi a tenté de me joindre. Tôt dans la soirée, je l’ai rappelée. Il était trop tard. Michel était mort dans le courant de cet après-midi-là.
Je suis allé au salon funéraire : une petite salle, rue Saint-Jean. Un ami, peut-être le propriétaire du salon, lut quelques passages de l’Ancien Testament. J’ai appris que Michel serait incinéré. La chose était rare, à ce moment-là.
Note de Jérôme Desbiens
Extrait du livre :
Dédier un volume de ce genre, c’est déjà une demi-incongruité. Si, de plus, ce volume paraît aux Éditions de l’Homme, ça devient encore plus incongru. Enfin, dédier cet ouvrage à deux hommes, c’est proprement détonnant. Je m’explique.
Les Éditions de l’Homme ne font pas dans le superfin. Les beaux esprits et les petites gueules d’amour n’y trouvent pas leur compte. On sait ça. D’habitude, on dédie une œuvre considérable à quelqu’un que l’on veut honorer. Ainsi, on dédie l’œuvre d’une vie à un vieux maître, ou à une jeune maîtresse. C’est admis Mais dédier des insolences, ça dépasse l’entendement.
Pourquoi Michel Golaneck ? Michel Golaneck est un Ukrainien né au Canada. Il est présentement infirmier au sanatorium du Lac-Édouard, après avoir été longtemps malade à l’hôpital Laval, où il a d’ailleurs fini par laisser un poumon. Je l’ai connu au sanatorium, où j’ai moi-même étiré les six plus belles années de ma jeunesse. Voilà qui explique un peu mes instincts de boxeur. Michel est un homme très doux et très humble, bien qu’il parle constamment, en bon Russe, d’expédier des gens dans l’Ungava et de mitrailler les irrécupérables. Il n’a qu’une passion : la justice. Il sait à peine lire et écrire, ce qui ne l’empêche pas de penser solide. Mon père aussi ne sait ni lire ni écrire. Il n’est pas moins intelligent pour autant. Ici, au Québec, nous ne sommes guère que la deuxième génération à savoir lire et écrire. Et encore nous lisons fort peu et nous écrivons tous plus ou moins joual, sauf M. Victor Barbeau et le Frère Clément Lockquell, l’un des plus raffinés de nos intellectuels, d’après le Père d’Anjou, qui s’y connaît en raffinements.
Michel et moi, nous avons passé des dizaines d’heures à parler de la « chose sociale », comme disent les snobs. Il a, sur la question, des idées qu’il croit communistes parce qu’il ignore le christianisme : Michel est ce que j’appellerais, faute de mieux, un agnostique. Il [20] ne croit pas à la résurrection de la chair ; il croit plutôt que les animaux finiront par parler latin ; c’est sa marotte. Je suis toutefois persuadé qu’il me précédera dans le Royaume (ce qui n’est pas encore une bien considérable performance : ma place dans le Royaume sera probablement dans la rangée Q), car il a le « cœur naturellement chrétien », comme disait Tertullien ou Bossuet, je ne sais et je n’ai pas le temps de vérifier. Un soir, il me servit, presque mot pour mot, la sortie de saint Basile contre les riches. On peut être sûr, pourtant, que Michel n’a jamais lu une ligne de saint Basile. « Si vous avouez que ces biens vous ont été donnés par Dieu, voulez-vous que Dieu puisse être accusé d’injustice pour nous avoir distribué ses dons avec une telle inégalité ? Pourquoi êtes-vous dans l’abondance tandis que votre frère est réduit à la mendicité, si ce n’est pour que vous ayez le mérite de la bonne dispensation de vos biens, et qu’il obtienne à son tour la couronne de la patience ? Le pain qui demeure inutile chez vous, c’est le pain de celui qui a faim ; la tunique suspendue à votre garde-robe, c’est la tunique de celui qui est nu ; la chaussure qui dépérit chez vous est celle du pauvre qui va nu-pieds ; l’argent que vous tenez enfoui, c’est l’argent du pauvre : vous commettez autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. »
Je ne prétends pas honorer Michel en lui dédiant ce livre : il est au-dessus de ça. Je lui parlais du projet, cet été. Il me disait, de sa voix hésitante : « Même si tu sors ton livre, dis-toi bien que tu n’es qu’un serviteur inutile. » Je lui dédie ce volume avec humilité. Simplement pour lui signifier mon amitié.
Au commissaire Michel Golaneck, en témoignage d’amitié.